Kuro Meian

Un jour, puis un autre, un mois entier, peut-être deux. Le temps n’a plus d’effet sur l’œil voilé de Meian. Elle fixe sans conviction cet arrimage qui accueille chaque jour de nouveau navires. De la barque au bateau en chêne massif, du plus banal moyen de locomotion au plus luxueux. L’univers tombe dans la discorde et l’abstrait. S’entremêlent les paysages et les pensées. L’imagination qui crée un renouveau de la vue, les souvenirs, qui la ravivent. Sentir, puis oser. Trembler de peur ou de froid. Attendre que la nuit tombe docilement et sans gêne sur la mer agitée. Observer les voluptés se refléter dans ce spectacle fait de cacophonie et de rêves. D’illusion en illusion, on finissait par croire à cette distorsion.

Tout à coup, la mer semble s’avancer. Meian recule, impressionnée. Mais les flots se veulent de plus en plus imposants, ils grossissent, s’entrechoquent, retombent au sol dans un fracas assourdissant. L’opération se répète, et se réitère encore. Flux et reflux se mêlent au ciel pour former un couvercle opaque d’agitation. La mousse blanchit l’atmosphère et dessine scrupuleusement des courbes interminables. Le vent se frôle un chemin le long des rouleaux et des bourrasques. Le large d’un bleu obscur continue sa progression. Elle franchit la barrière de l’effrayant, et se dirige comme en flèche sur la kunoichi. Effarée, celle-ci se retourne brusquement, mais il est déjà trop tard. Sa course ne la mènera que quelque mètres plus loin avant qu’elle ne sente la masse glaciale frôler sa jambe. Précipitation, vitesse, échappatoire. Le corps de Meian fut engloutit en un rien de temps. Pourtant, les torrents ne la blessaient pas. Petit à petit, le calme reprit sa place originelle et seule la froideur de l’eau vint perturber l’esprit de la jeune femme. Son corps entier flottait mollement dans la sphère d’eau assombrie qui l’emprisonnait. L’eau, cette sensation étrange qui nous donnait l’étrange sensation de voler. C’était comme si l’esprit aurait pu se libérer de son enveloppe charnelle tellement celle-ci se faisait légère. Les cheveux ébène voletant de part et d’autres de sa chair couverte d’un simple voile blanc, Meian oubliait peu à peu comment respirer. Elle n’en avait plus besoin. Les yeux clos… c’était la fin, elle ne voulait plus fuir. Ecartant ses bras chétifs, elle accueillait à bras ouverts ce qu’elle pensait être la mort. Cette sombre présence qu’elle redoutait depuis longtemps.

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Meian, Kuro 10ème du nom, était née au cœur même des conflits les plus farouches que les contrées ninja avaient eut l’occasion de voir. Traitrise, soupçon, haine et convoitise étaient à l’honneur, et ce, plus encore au sein même des grandes nations qu’ailleurs. Les Daïmyos étaient devenus de sombres hérétiques, vieillards et vieillardes aigris par le temps, les rhumatismes et la déception.  Les Kages eux, possédaient les yeux les plus avares qui soient. Leur volonté de pouvoir et de conquête ne s’étanchera jamais. Les cœurs avaient perdu les vertus autrefois tant convoitées. Les détails comme l’amour, le bonheur, la joie, la tendresse, la sympathie et la tolérance n’étaient que les vestiges d’une civilisation enterrée. Kiri ne faisait pas exception à la règle. Le pouvoir se passait étonnamment de mutinerie en mutinerie. Les récits ne racontaient plus quelle fin Ô combien glorieuse avait put avoir les anciens Kage. La dernière du jour, peut-être cas nouveau, ne semblait être qu’antipathie.

Quoi qu’il en soit, la nouvelle Kiri-jin vu le jour un mois de printemps, ou le ciel crachait ses entrailles. Les cris d’un nouveau-né sont toujours appréciables pour l’impression de renouveau que cela implique, mais ce jour là, la pluie couvrait les moindres des sons que pouvait émettre le nourrisson. Son nom trouvait son origine dans ces circonstances particulières. « Le clair-obscur », car ce jour demeurait tout de même un jour mémorable pour une famille, mais celui-ci prenait malheureusement place dans un monde aux aspects ténébreux.

Vous dire qu’une vie banale et attentionnée serait ce qui attendait la jeune fille serait un mensonge. La noirceur des villages pouvaient étonner plus d’un esprit. Et malheureusement, il fallut que l’œil malsain des hauts gradés tombe sur la famille Kuro. Pour quelle raison ? Peut-être pour non implication au sein de l’activité militaire et expansionniste du village. Les Kuro étaient un clan banal, modeste, dont le niveau ne faisait pas parler d’elle. Ils n’excellaient pas dans l’art du ninjutsu, et encore moins dans les autres domaines. Oui, le genre de famille dont personne ne se préoccupe, pas même les voisins.

Il est facile de briser une famille en peu de temps. La première partie, délicate ou non, consiste à détruire tout espoir de solutions ou d’échappatoire. L’impossibilité d’esquiver le problème auquel l’on fait face. De fausses accusations suivies d’un procès interminablement long et apocalyptique. Résultat : Le manque d’argent et d’esprit de conviction font que le procès implique des sanctions injustifiées. Dettes, prison, séances d’incarcérations. La seconde partie, calculée au préalable, arrive ici. L’objet de toute cette manigance n’est en fait qu’un marché humain. La famille est jugée inapte à prendre soin de sa descendance, l’enfant leur est enlevé, leur âme aussi. Meian est placée en tutelle pour enfant abandonnés. Du moins, c’était ce que le contrat stipulait. Certes, on lui apprit à lire, à écrire et même à vivre par elle-même. Mais aussi à vivre pour les autres, à servir, à aboyer et à remuer la queue tel un canidé bien dressé. On décida de ne plus la choyer, de l’abandonner à sa vie destinée à la servitude. Jusqu’au jour on l’on vint prendre sa douce petite main pour l’emmener dans un bâtiment voisin. Le contrat stipulait que l’enfant avait été transféré dans une famille d’accueil, pour y apprendre à « s’épanouir tout en menant une vie en communauté ».

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«  Aussi longtemps que mes souvenirs me permettent de remonter, la vie que j’avais toujours espéré ne m’avait jamais été offerte. Etant jeune et insouciante, j’avais cru les paroles que me disaient toutes ces personnes vêtues de couleurs sobres et éloquentes. Ils paraissaient tellement brillants, à côté de mes piètres parents qui avaient trahis le village et la nation. Histoire de meurtre, de corruption et de trahison, à cette époque où je ne savais même pas ce que la mort représentait. Mais ces choses qui m’étaient dîtes sur ce ton si grave m’avaient forcé à croire en une chose monstrueuse. La culpabilité de mes parents devint rapidement l’échappatoire à mes ennuis. Ce fut rapide pour les autorités de me faire avouer que je vivrai mieux sans eux, que leur nourriture ne suffisait pas à mon estomac, ou encore que leurs tendresses n’étaient que tricherie.  Me voila ensuite emprisonnée dans ces maisons de verre et de fer. La détresse fut mon quotidien, voir que chaque jour un peu plus, je perdais de ma candeur. »

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Le réveil fut pour le moins brutal. Meian était  encore immergée. L’eau recouvrait son corps entier, sa température n’avait pas changé. Pourtant quelque chose semblait différent. Elle était épuisée et ses yeux demeuraient clos. En forçant un peu, elle parvint à ouvrir ceux-ci, du moins assez pour remarquer l’éclat abondant qui jaillissait de partout. Ses pupilles se rétractèrent et eurent du mal à s’habituer à tant de luminosité. Peu à peu, la vision lui revint. Premièrement, floue. A nouveau ce monde strié par des formes et arrondis inconcevables. Son expression se crispa lorsqu’elle se rendit compte du tuyau qui lui était implanté dans la bouche. L’oxygène venait donc de là. Son corps encore endormi bougeait ça et là dans la geôle translucide qui l’enfermait. Elle remarqua enfin des silhouettes qui se dessinaient non loin d’elle, toute de blanc vêtues, elles semblaient la désigner avec des gestes amples et souples. Leur vivacité ne permit pas à Meian de les suivre. Pourtant, elle était sure d’une chose, sûre de ce qu’elle avait pu lire sur leur visages et leurs lèvres :

« Le projet E103 s’est réveillé ! »

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Spasmes et tremblements envahirent l’être alité de Meian. La chambre était éblouissante, entièrement peinte de blanc. Même les prunelles les plus résistantes auraient eut du mal à ne pas cligner des paupières. A son réveil, la jeune fille s’était retrouvée entourée à nouveau de ces personnes à l’allure quelque peu angoissante. Leurs regards étaient planté dans le sien, qui peinait à redécouvrir le monde du réel.

Sa mémoire commença à revenir, mais le seul désir qui la hantait depuis son réveil prit le dessus : Se levant avec peine, elle voulu se dresser sur ses jambes apeurée et fuir à tout jamais ce centre qui se donnait des allures de famille d’accueil de bonne famille. La désillusion s’accompagna d’une chute monumentale. A peine avait-elle posé le pied par terre et jeté son corps en dehors des draps que sa jambe fléchit et l’amena à la rencontre du sol aussi froid que le marbre. Surprise de ce rebondissement inattendu, Meian orienta son attention sur la raison de cet écroulement. La vue de ses jambes aussi fines que des barres de fer lui arracha un gémissement de détresse.

Les tests avaient duré au total 1 an et demi. 1 an et demi pendant lequel Meian était restée cloisonnée dans un aquarium humain entre la vie et la mort. Les cobayes avaient étés au nombre de 103 personnes. Elle en était le résultat, et sa vie allait, quand bien même elle résistait, devoir suivre des procédures pour préserver ces recherches.

La Science. La Science avec un grand S, qui prend la place de l’Humain. Sauvegarde de la vie et de la combattivité au travers de recherches exactes qui se voulaient mélioratives pour l’ère meurtrière que traversent les contrées ninja.  Aptitudes physiques développées, sophistication de la matière, amplification de l’intelligence. Tout était le bienvenu pour se sentir grandi et supérieur aux autres, pour monter l’aspect dominant du village de la Brume. Les sacrifices étaient nécessaires pour l’avancement de la société. Ici, 102 personnes avaient succombé, pour l’avenir du pays, par patriotisme, disait-on. Meian, 103ème, avait reçu le don de s’estimer heureuse d’être encore en vie, et saine d’esprit, ou du moins, avec un esprit rigide.

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«  Mon nom est Kuro Meian, associée aussi à l’identification E103. Je suis aujourd’hui âgée de 17 ans, et en ce jour d’automne, je dois faire comme il se doit, mon rapport annuel pour la Science. Que puis-je donc bien raconter ? Mon corps a encore progressé, je suis plus vive et plus attentive que jamais. Le don « E103 » fonctionne correctement, il n’y a encore jamais eut de rejet, je pense que cela fait parti de moi maintenant. L’encore, ou encore, le Sumiton, fonctionne parfaitement avec mon mode de pensée et d’action. Calme et disciplinée, la matière répond à mes attentes en toutes circonstances. Je peux en user pour le combat, la supercherie, la ruse. Je commence à reprendre goût à certains détails qui m’échappent encore. Le soleil ne me brûle plus comme avant, le vent ne m’effraie plus, l’océan, m’attire de plus en plus. Je sens que je me rapproche de la nature et des essences primaires de cette terre. C’est comme si mon cœur battait de nouveau, comme si je réapprenais à vivre, avec certes, de nouveaux idéaux en moi. Petit à petit, je rejette le côté glacial de ma personnalité, pour étoffer la partie sensitive. La vue, le ressenti, l’absolu comme l’abstrait devinrent rapidement ma passion. J’éprouve de plus en plus d’intérêt pour la recherche d’idées, d’éventualités. Ma passion se traduit par une méthode artistique banale, le dessin, la peinture et la calligraphie sont devenus mes plus forts alliés. Ces disciplines me permettent de faire coexister mon aptitude dans l’art d’être ninja avec l’art profond lui-même. Je forge peu à peu mes atouts, je crée le jeu de carte qui me mènera vers mes objectifs de conquête et de connaissances. J’ai soif de nouveau et d’idéologie. Voir ailleurs, imaginer, rêver, et représenter. Mes doigts qui s’imprègnent eux même de l’encre la plus noire, viennent maculer les toiles opalines et représenter ce qui m’inspirait, ce à quoi j’aspirais.

Rapidement, je ne fis plus qu’un avec ma passion, et même mon corps s’en révéla démonstratif. Je m’amusais avec celui-ci. Les images sont illusions, illusions qui portent à croire au réel quand on le souhaite, et seulement quand on a la volonté d’accéder au monde du rêve. Moi, j’étais indéniablement scellée à ce monde, qui m’obsédait et créait en moi une sortie à mes problèmes. M’amusant au plus au point avec l’encre, qu’elle soit noire ou de couleur, je fis en sorte de prouver au monde l’existence des songes. Des estampes de couleur vinrent s’apposer sur ma peau d’origine blafarde. Les tatouages s’étalant le long de mon dos, sur mon épaule signifiait l’attachement que j’apportais à la graphie.

C’est ainsi que d’un corps svelte et élancé, d’un regard de plomb, et d’une ferveur grandissante. Je me lançais dans la recherche de savoir, la conquête d’idéal, de liberté, et d’infini. »

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«  20 Septembre, je suis anéantie. J’ai combattu aujourd’hui pour la première fois en combat réel, et mes réflexes ont étés… irrépressibles et sauvages. Mon regard se baisse, mes paupières sont lourdes, mes muscles tendus. J’ai trouvé… Je l’ai enfin trouvée. »


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«  Aout. Je l’ai encore fais, j’ai encore laissé ma passion m’envahir. L’inspiration est une chose incontrôlable, j’en suis sa victime. Ma conquête de savoir me perd moi-même. Je sais qu’elle est ma muse, mais je n’ose y croire. Mon humanité me quitte, en même temps que mon âme. Dois-je vendre mon essence au diable pour jouir du bonheur ? Dois-je céder face à ce besoin constant pour m’inspirer et apprécier mon art ? … Que suis-je en train de devenir, quel est ce monde que je reflète si bien ?

Depuis que les autorités de Kiri m’ont intégré au régime d’entraînement ninja avec les civils, j’ai compris ce dont j’aurais besoin pour persévérer. On m’avait jeté dans une cage remplie d’autres candides, et on nous avait dit à tous « Tuez, ou soyez tués ». Le temps de réaction pour le premier fut d’environs une minute. D’abord ce fut la panique, certains tentèrent de fuir en gravissant les palissades, ils furent exécutés sous nos yeux. Les cadavres retombèrent dans un bruit sourd. « Tuez ». Des kunai tombèrent à leur tour. « Ou soyez tués. S’en suivit un pèle mêle de cris et de déchirements d’âme. Je voulu fermer les yeux, mon cœur me criait de voiler de noir ce paysage. Pourtant, je restais ébahie. Ce spectacle, en plus de me choquer, réveillait en moi une sensation de curiosité. J’étais charmée et bluffée par la scène apocalyptique qui se faisait dresser des pantins de verres entre eux. Tous étaient source d’une couleur machiavélique et séduisante, le bordeaux. Ténébreux et sensuel, colérique comme putride. Je souris à cet instant, recouvrant alors les personnes qui m’entouraient d’un voile noir, dans le but d’immortaliser cet instant. »

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« Débauche, dépravation et mort sont mes muses. Je ne peux m’en détacher, comme elles ne peuvent se détacher de moi. A partir d’aujourd’hui, je souhaite simplement faire vivre mon art. »